Whitechurch, petite perle méconnue
- Chloé Lacoste
- 23 juil. 2020
- 4 min de lecture
Le cimetière de Bodenstown, dans le comté de Kildare, est sans doute le plus célèbre d'Irlande après Glasnevin, car c'est là qu'est enterré Theobald Wolfe Tone, le chef de la toute première révolte républicaine du pays, menée à la fin des années 1790 avec "l'aide" du Directoire (tu peux taper "Irlandais Unis", "Général Humbert" ou "Expédition d'Irlande" dans ta barre de recherche si tu veux en apprendre plus sur ce fiasco militaire français). Mais je t'entends d'ici: "Comment-donc? Pourquoi ce discours sur Bodenstown? Le titre annonce un cimetière nommé Whitechurch." (Oui, je te sais un langage châtié). Et tu as raison, je t'en dirai plus sur Bodenstown une autre fois. Si je t'en parle maintenant, c'est que bien entendu la figure révolutionnaire de Wolfe Tone m'intéresse, et mon sang n'a fait qu'un tour quand j'ai appris que sa tombe était à moins d'une heure de vélo de chez moi. Andy, Cédric et moi-même étions donc en route vers ce lieu mythique lorsque j'ai oublié de tourner à droite (c'est tout moi ça) et que nous nous sommes retrouvé.es devant l'entrée de ce bijou:

Nous venions de traverser le bourg d'Ardclough et une rapide recherche en ligne m'a permis après coup d'identifier ce mystérieux cimetière comme étant Whitechurch. Comme Grangewilliam ou Ballinderry (voir posts précédents), c'est un cimetière typiquement irlandais ; les tombes récentes y côtoient un site ancien, entouré et parfois envahi par la verdure.

À gauche, parmi les buissons et le sureau, sans doute la partie la plus ancienne du cimetière, ces pierres éparpillées étant soit les restes de pierres tombales sans âge, soit simplement des marqueurs posés là par les familles les plus pauvres pour indiquer l'emplacement de leurs êtres chers.
Encore mieux cachée, pratiquement engloutie par le lierre, la vieille église est encore là. Intrépide, Cédric s'est rendu sur son toit pour annoncer qu'il n'y avait pas grand chose de plus à voir. Je me suis donc abstenue de le suivre.

La plus ancienne pierre (lisible) que j'aie identifiée date du début du XVIIIeme siècle. Une courte stèle tout en simplicité, décorée uniquement par le H majuscule fantaisiste qui entame le texte (en général les décorations se trouvent au sommet ou sur les cotés et le texte est parfaitement sobre). Le texte lui-même est intéressant car il mentionne "le corps" d'une des personnes enterrées là, une expression inhabituelle de sa présence matérielle. Des corps, il y en a deux sous cette pierre: celui d'une personne morte en 1722, l'autre date étant peu lisible (1712?). Le texte est très simple et dans une orthographe archaïque difficilement traduisible, alors je propose ma transcription en VO: "IHS - Here lyeth the body of Jane Boyd who dyed No? ?? 17?2 and hur cusin Margrit Hely who dyed De/er 15 1722" (IHS est un christogramme, c'est-a-dire la représentation de Jésus par les trois premières lettres de son nom en grec).

Nettement plus récente, cette plaque rappelle un événement tragique de l'histoire locale, ancrée dans les tensions nationales et l'histoire contemporaine:

Christy Phelan était un employé agricole qui vivait dans le secteur de Whitechurch (commune d'Ardclough) et faisait sa balade du dimanche matin. Et là il faut que je reparle de Bodenstown et de Wolfe Tone. Christy a eu le malheur de traverser le pont ferroviaire de Baronrath le 22 juin, dimanche le plus proche de la date de naissance du héros révolutionnaire (né un 20 juin). C'est donc le jour de la commémoration annuelle réunissant de nombreux républicain.es indépendantistes, en cette période des années 1970 où les "Troubles" (que personnellement j'appellerais plutôt guerre civile, mais ce n'est pas le sujet) faisaient rage en Irlande du Nord (toujours britannique à ce jour) où Républicain.es et Loyalistes s'entretuaient au cours d'affrontement plus ou moins directs. Et ce jour là, un groupe de Loyalistes installaient une bombe au niveau de ce pont pour faire dérailler le train qui transportait 300 Républicain.es de Dublin à Sallins (la commémoration démarrant traditionnellement par une procession de la gare de Sallins au cimetière de Bodenstown). C'est donc un malheur pour lui, mais plutôt une bonne nouvelle pour les 300 passager.es, car grâce à lui les terroristes vont perdre du temps et la bombe explosera 8 minutes après le passage du train. On ne sait pas si Chritsy a pris les saboteurs à parti ou a simplement été tué pour les avoir dévouvert.es ; toujours est-il que son passage a évité le pire à des centaines d'autres et qu'il l'a payé de sa vie. Un rappel brutal et tragique des violences qui secouaient alors le pays, bien au-delà des limites administratives de l'Irlande du Nord.
Pour finir avec un peu plus de légèreté, voici deux monuments qui demeurent à mes yeux mystérieux :

Cet étrange mélange entre une stèle celtique et une croix ne comporte aucune indication qui puisse en indiquer la symbolique ou la date, ce qui la rend tout à la fois fascinante et frustrante. Par la suite, j'en ai croisé une similaire (sans inscription non plus, malheureusement) en retournant au cimetière d'Oughterard, également sur la commune d'Ardclough. Il s'agit peut-être simplement d'un style local.

Quant à cette pierre-ci, elle est isolée au sommet d'un petit monticule tout à fait sur la droite et ne comporte aucune indication (il est possible qu'il y ait eu un texte gravé sur le piédestal recouvert de mousse), pas plus que de décoration. Cette simple croix celtique, au cercle plein (le plus souvent ils sont creusés) n'est ornée que de 5 trous circulaires, là où d'ordinaire on peut admirer des motifs décoratifs en bas-relief. Peut-être n'est-elle pas terminée?
Tout à fait inattendue, cette visite du cimetière de Whitechurch a une fois de plus apporté son lot de surprises, de l'ancienneté de tombes et constructions parfois mystérieuses à la mémoire d'une histoire récente, tragique et violente. Sans oublier la douceur et le calme de l'image d’Épinal : ces lieux du souvenir grignotés par la verdure des arbres et du lierre grimpant.

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