Sur la route de Kells #2 : Newtown Abbey, à Trim
- Chloé Lacoste
- 18 janv. 2021
- 3 min de lecture
Après la visite surprise du petit cimetière de Galtrim est venu le temps de la visite tout à fait planifiée de Newtown Abbey, dans la petite ville de Trim. Tout juste à l'entrée de la ville, on y retrouve l'atmosphère typique des petits cimetières ruraux, avec des vaches tout autour, des ifs éparpillés, et même des bancs (ça, c'est nouveau). On a même vu un couple faire un pique-nique sur un des bancs, avec leur petite glacière.
Comme le nom l'indique, c'est le site d'une ancienne Abbaye. On y trouve d'ailleurs bien plus de ruines que dans la plupart des cimetières. C'était un centre de pouvoir important durant l'époque "Anglo-Irlandaise" (c'est le nom qu'on donne à la fin de la période médiévale, où des notables anglais avaient commencé à coloniser l'Irlande, mais la réforme religieuse n'avait pas encore eu lieu). La ville de Trim de manière générale était un centre important, comme le laissent deviner les multiples ruines (on aperçoit d'ailleurs le château par une des fenetres de l'Abbaye). Le double gisant de Sir Thomas Dillon (mort en 1592) et de sa première épouse Jane est toujours là, en très bon état. Elle est surnommée "tombe des époux jaloux" du fait de l'épée qui sépare les gisants, parfois interprétée comme la preuve de leur mésentente (malheureusement on distingue à peine l'épée sur mes images). Loin de moi l'idée d'affirmer des certitudes (je n'ai aucune connaissance sur la société médiévale irlandaise), mais il me semble un peu étrange que Thomas soit enterré avec sa première épouse et pas la seconde (peut-être que la référence à la jalousie vient de là?). Peut-être que cela s'explique par le fait que ses héritiers sont issus de son premier mariage (au passage, sa deuxième épouse, Marion, est elle-même enterrée avec son premier mari).
Parmi les autres tombes notables de ce cimetière, en voici une avec une crucifixion fort détaillée. Malheureusement, elle est tellement couverte de lichen qu'il m'a été tout à fait impossible de déchiffrer un nom ou une date. Le motif lui-même est d'ailleurs à peine visible, mais la crucifixion centrale, elle, est bien nette. On voit de chaque côté un visage ailé, et une figure féminine (celle de gauche semble flotter, il s'agit donc possiblement de Marie, la seconde pourrait être Marie-Madeleine?). Au pied de la croix, on distingue bien un crâne et ses deux os en croix, et je m'aperçois en écrivant qu'il semble y avoir un sablier sous le crâne.
Et pour finir, une fois de plus, il y avait à Newtown Abbey un nombre important de tombes de soldats de la guerre de 1914-1918. Je les mentionne souvent et ça a peut-être l'air de tourner à l'obsession, mais je trouve vraiment leur présence intéressante. D'abord, l'Irlande a eu un rôle assez mineur dans cette guerre, et quand on étudie l'histoire du pays cette période est bien plus associée a la révolte de Pâques 1916, considérée par beaucoup comme le début du processus menant à l'indépendance. Il est après tout assez logique que cet événement jugé fondateur jette son ombre sur le souvenir de la participation à une guerre menée par l'État britannique colonisateur, mais du coup me voilà toute surprise de voir une telle quantité de tombes de soldats irlandais morts au cours de cette période. Et puis il y a un deuxième élément qui joue: en France, cette guerre occupe certes une place nettement plus centrale dans notre mémoire nationale, mais dans le même temps cette mémoire se construit autour de monuments collectifs au "soldat inconnu", pas du tout par la multiplication des tombes individuelles, en raison du véritable massacre qu'elle représenta. Au passage, si tu n'as pas vu le film Au-revoir Là-Haut, tu as du rattrapage à faire. Ci-dessous, trois exemples de tombes de soldats de la guerre de 14-18 : M. J. Regan du régiment des Royal Irish Rifles et P. Nulty du Leinster Regiment sont tous les deux morts en 1915, à seulement 20 ans et 21 ans respectivement. Quant a Henry McCormack, des Royal Dublin Fusiliers, il est mort à 41 ans le 21 juillet 1916. Je crois bien que c'est le soldat de cette guerre le plus âgé dont j'aie vu la tombe depuis le début. C'est aussi le seul dont la famille est enterrée à ses cotés : sa femme Margaret, morte en 1954 (je crois) et son fils Edward, mort en 1980.
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