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Newry, Irlande du Nord, Octobre 2019 : à la recherche des deux John.

  • Photo du rédacteur: Chloé Lacoste
    Chloé Lacoste
  • 18 juin 2020
  • 7 min de lecture

J'avais prévu de garder cette aventure plus tard, mais les débats font rage en ce moment en Irlande à propos de John Mitchel et de sa statue, alors je peux bien vous parler de sa tombe (qui est très mystérieuse). J'ai malheureusement très peu d'images à vous montrer, car j'ai bêtement perdu le téléphone que j'avais ce jour là (et sauvegardé une seule photo). Mais on a tout de même vécu un petit épisode d'exploration urbaine, alors je le raconte. Et pour compenser, je vous mets une photo de mon hamac-falaise, prise le lendemain lors de notre balade le long de la cote nord-irlandaise.


Bon, un peu de sérieux : "C'est qui ce John Mitchel? Et c'est quoi le problème avec sa statue en juin 2020?", te questionnes-tu si tu n'as pas particulièrement étudié l'histoire irlandaise (si tu sais déjà tout sur lui, tu peux sauter les deux prochains paragraphes). Et bien le problème c'est que nous sommes en plein milieu d'une vague de protestations mondiale en lien avec le mouvement #BlackLivesMatter et des gens commencent à réclamer que les statues des anciens colonialistes ou esclavagistes soient déboulonnées, ou au moins contextualisées. "Mais je croyais que ton truc à toi c'était les indépendantistes? On peut pas être colonialiste alors qu'on lutte contre la colonisation de son propre pays." Ben en fait si, on peut, et j'en ai plusieurs exemples. Mais c'est pas ça le problème avec Mitchel (oui, c'est l'esclavage).


John Mitchel est un poil à gratter qui démange particulièrement dans le "roman national" de l'indépendantisme irlandais, un de ces personnages qu'il est extrêmement difficile de définir comme complètement bon ou mauvais, et ce quelles que soient tes idées politiques. Il était le membre le plus radical du groupe de nationalistes romantiques Jeune Irlande, dans les années 1840, il fut fait prisonnier et déporté en Tasmanie (qui s'appelait Van Diemen's Land à l'époque) pour ses textes (vraiment) séparatistes, prit la fuite pour se réfugier aux États-Unis, écrivit des ouvrages devenus des classiques sur la colonisation et sur le système carcéral britanniques, et mourut en Irlande en 1875, juste après son retour au pays et son élection au parlement (élection invalidée en raison de son passé judiciaire).


Un vrai héros national, qui rentre dans les cases les plus radicales des discours révolutionnaires, et il ne fut jamais ni colon, ni propriétaire d'esclaves. Mais voilà, aussitôt installé aux États-Unis (d'abord à New-York, puis dans le Tennessee), il écrivit des textes défendant l'esclavage (et même pas par intérêt personnel!). Il expliquait notamment qu'à ses yeux les esclaves aux États-Unis bénéficiaient d'un meilleur traitement que les paysan.nes pauvres en Irlande ou les ouvrier.es de l'industrie en Angleterre. Pendant la guerre de Sécession, il participa activement à défendre l'idéologie des États du Sud, et deux de ses fils y perdirent la vie. Ce positionnement idéologique de Mitchel n'est pas un problème nouveau pour l'Irlande, et ce n'est pas la première fois que la question se pose de retirer ou non sa statue. Il ne m'appartient pas de décider des monuments nationaux d'un pays qui n'est pas le mien, mais il est certain que la question mérite d’être posée.


 

Revenons maintenant au XIXeme siècle, car tu dois te demander dans quel cimetière tout cela nous mène, et qui est le mystérieux second John. Fin du suspense: il s'agit de John Martin, meilleur ami de Mitchel, également nationaliste, et accessoirement son beau-frère. Comme Mitchel, Martin était nationaliste, membre de la Jeune Irlande, et fut longtemps très influencé par les idées politiques de son ami. Mais avec l’âge, leurs avis politiques divergent. Martin prit part à la révolte de 1848, et il fut lui aussi condamné à l'exil en Tasmanie. Mais contrairement à son ami, il refusa de prendre la fuite et à son retour en Irlande il rallia rapidement le nationalisme identitaire, modéré et libéral de la middle-class catholique, lui-même étant Protestant et propriétaire terrien (j'écris middle-class parce que la traduction par "classe moyenne" ne fonctionne pas vraiment, surtout au XIXeme siècle : la meilleure traduction serait plutôt "bourgeoisie", on dit middle parce que ni de la noblesse ni des classes laborieuses, donc entre les deux, pas parce que leurs revenus seraient moyens). Il était aussi en désaccord avec son ami concernant l'esclavage, comme la plupart des nationalistes irlandais influents, mais ce désaccord n'était pas perçu comme remettant en cause leur amitié, ni le statut de Mitchel comme l'un des plus grands héros de l'histoire nationale, morts ou vivants.


Mitchel mourut à Newry le 20 mars 1875, quelques jours seulement après avoir été réélu (malgré son inéligibilité officielle). La journée de ses funérailles fut particulièrement pluvieuse, et c'est ainsi que son meilleur ami tomba malade, pour mourir le 29 mars. Ces deux hommes qui sont liés à la fois par leur prénom, leur origine géographique, leur foi protestante, leurs engagements nationaliste, et même les liens familiaux, finissent donc par mourir a seulement quelques jours d'écart. Je ne pouvais évidemment pas ne pas aller visiter Newry à la recherche de leurs tombes! Nous avons donc profité de notre deuxième randonnée en Irlande du Nord pour nous y arrêter. Ça y est l'aventure commence enfin, et il nous en a fallu de la détermination!


 

Newry est la première ville d'Irlande du Nord, juste après la frontière quand on vient de Dublin. L'arrivée en voiture est très agréable : on est au milieu des collines et la ville apparait, nichée sur l'une d'elles, tout près de la mer.J'étais convaincue de trouver très vite la tombe de Mitchel, un personnage tellement important! Mais notre balade s'est transformée en une véritable quête, et autant l'annoncer tout de suite : nous n'avons jamais vu cette tombe (il y a des photos sur internet, mais il faut taper en anglais: John Mitchel's grave, sinon on trouve des photos de Johnny). Bizarrement, mon application de localisation géographique m'indiquait la tombe dans le cimetière de l'église Saint Patrick, au sommet de la bien nommée High Street (ça monte raide, et la vue d'en haut est superbe). Mais nous avons tourné en rond un moment sans rien trouver. Une petite vérification en ligne, et une photo de la tombe me confirme que le bâtiment en arrière-plan n'est pas la petite église Saint Patrick, Anglicane.


Nous partons donc à la recherche de l'église Unitarienne (la confession de Mitchel). Trouvée!, mais pas de cimetière autour. En rodant dans les parages, nous nous retrouvons devant la salle du National Foresters Club, un club de tendance indépendantiste qui a pratiquement disparu dans le Sud de l’ile mais reste présent en Irlande du Nord, toujours britannique. Si quelqu'un a une chance de savoir où trouver la tombe d'un des héros de l'indépendantisme, c'est bien eux. Et c'est le cas, mais on nous explique que le cimetière, situé derrière un couvent dans la partie basse de High Street, est inaccessible.


Phots prises par ©Eric Jones, il y en a d'autres par-ici : https://www.geograph.ie/photo/5067653


Le Convent of Poor Clares est assez facile à trouver. Il y a même sur une des portes un panneau qui indique la présence d'un cimetière, et par la serrure on aperçoit une tombe qui n'a pas l'air très ancienne, donc des familles doivent bien pouvoir y accéder. Mais pas d’accès, ni d'horaires d'ouverture. Je ne veux pas lâcher l'affaire (et Cédric non plus ; il m'a suivie jusque-là, c'est pas pour rien!). Et j'ai même trouvé sur un groupe Facebook une photo partagée récemment: il doit y avoir une entrée quelque part. Alors nous quittons High Street et passons par Abbey Way à la recherche d'une allée parallèle, faisons le tour du Lidl à coté pour trouver un trou dans le mur...


Rien. Alors nous finissons par nous glisser derrière un portail rouillé et mal fermé, pour nous retrouver dans une jungle d'herbes hautes et de plantes à feuilles géantes (là je commence à me sentir un peu comme Alice, et le Pays des Merveilles est glauque), puis dans une cour d'école abandonnée. On traverse la cour, et il y a un trou dans la palissade, par lequel on peut passer accroupi.e. De l'autre coté, on arrive dans une espèce de prairie, juste derrière le cimetière. Un type dort dans sa voiture, et 8 mois après je ne comprends toujours pas comment il a pu arriver là. C'est le moment le plus frustrant de toute cette journée : le cimetière est là, on aperçoit même quelques tombes de l'autre coté du mur et des hautes grilles. Mais les deux portes métalliques, une petite et une grande qui est sans doute l'entrée "officielle", sont bien verrouillées et cadenassées, et notre défiance des interdictions a ses limites (et puis je suis en jupe). Une dernière tentative, tout de même: en remontant High Street, on remarque un chemin qui mène à un petit centre culturel. On est vraiment juste à coté du cimetière, mais toujours pas d’accès.


Nous avons fini par laisser tomber : il y avait aussi la tombe de John Martin à trouver, et avant la nuit. J'étais très inquiète car j'avais eu un peu de mal à trouver des informations précises, donc je pensais au départ qu'elle serait plus compliquée à trouver que celle de Mitchel. Sa propriété s'appelait Donaghmore/Donoughmore, mais le Donaghmore que j'avais trouvé était situé trop loin de Newry pour que la procession funéraire ait pu s'y rendre à pied, et quand je cherchais avec l'orthographe Donoughmore je les trouvais dans d'autres Comtés. Mais j'avais lu une biographie qui précisait que le cimetière de Donaghmore se trouvait près de Loughorne, et j'avais repéré une Loughorne Road à quelques kms de Newry. Et nous l'avons trouvé! Tout près de l'autoroute en direction de Belfast. On a l'impression d’être au milieu de nulle part (mais on entend la route), et à un croisement, sur une petite colline, il y a une église entourée d'un petit cimetière, et une maison toute seule à coté.


La tombe de John Martin, la seule photo qui me reste de cette journée incroyable. Voici ce qu'on peut y lire:


John Martin

Né le 8 septembre 1812

Mort le 29 mars 1875

 

Il vécut pour son pays, souffrit pour sa cause, dut fuir pour l'avoir défendu, et mourut aimé et regretté par tous les Irlandais au cœur sincère.


 
 
 

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