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Le cimetière de Glasnevin à Dublin, une micro-introduction

  • Photo du rédacteur: Chloé Lacoste
    Chloé Lacoste
  • 16 juil. 2020
  • 6 min de lecture

Au nord de Dublin se trouve LE grand cimetière de la ville (et de loin le plus grand du pays), Glasnevin. Il mesure plus de 50 hectares, et plus de 1,5 millions de personnes y sont enterrées ; c'est plus que le nombre d'habitant.es de Dublin, et plus grand que le célèbre Père Lachaise (44 hectares et 1 millions de personnes). Des l'origine, l'histoire de ce cimetière fut étroitement liée à celle du nationalisme irlandais. Il occupe aussi une place toute spéciale dans mon cœur, car depuis 10 ans c'est pour moi un lieu de balades, de rêveries, de découvertes, d'inspiration pour ma recherche, et même d'amitié. Une simple publication sur un blog ne suffirait jamais à résumer un lieu d'une telle importance, alors ceci n'est qu'une très rapide introduction à l'histoire du cimetière, et de notre "relation". Plus tard j'écrirai à nouveau sur Glasnevin, à propos de tombes ou d'aspects particuliers.


Commençons donc par un peu d'histoire.Je n’exagère pas quand j'affirme le lien entre Glasnevin et l'histoire du nationalisme, puisque l'existence même du cimetière est le résultat d'une campagne menée par le célèbre activiste Daniel O'Connell, qui milita dans les années 1820 pour les droits des catholiques irlandais, notamment celui de siéger au parlement britannique (obtenu en 1829). Au XVIIIeme siècle, l'Irlande est subordonnée au Royaume-Uni, dont l'identité repose largement sur un régime politique parlementaire et protestant. Les Penal Laws   mises en place fin XVIIeme siècle pour soumettre l'Irlande très majoritairement catholique interdisent les mariages "mixtes", et les catholiques (et pour partie les protestant.es non-anglican.nes) n'ont pas le droit de siéger au Parlement, d’exercer certains métiers, d’être propriétaires des terres, d'hériter... Début XIXeme siècle, l'Irlande devient officiellement membre du Royaume-Uni, donc en principe égale à l'Angleterre et à l'Écosse, d’où le mouvement mené par Daniel O'Connell pour réclamer la suppression des dernières Penal Laws encore en vigueur et la possibilité pour la majorité catholique de la population d’être représentée au Parlement. Ces lois avaient aussi eu pour conséquence la limitation des pratiques religieuses catholiques et notamment l'absence de cimetières réservés. Il fallait donc enterrer les morts dans des cimetières anglicans et pratiquer discrètement des rites catholiques réduits. La plupart du temps cela se passait assez bien et les autorités policières et anglicanes laissaient faire, mais des tensions existaient tout de même. Ce fut le cas notamment en 1823 dans le cimetière anglican de l'église Saint Kevin à Dublin, où un religieux anglican reprocha à un prêtre catholique de pratiquer publiquement les rites. L'histoire fit scandale et O'Connell inclut à sa campagne pour l'émancipation l'exigence d'avoir enfin un cimetière digne de ce nom pour les catholiques de Dublin. Le cimetière de Prospect finit par ouvrir en 1832 dans le district de Glasnevin (dont il a pris le nom entre-temps). Il était œcuménique et entretenu par une organisation caritative (un "trust" en anglais) dirigée par O'Connell lui-même. Il est toujours entretenu aujourd'hui par le Glasnevin Trust.


Le lien entre ce cimetière et l'histoire irlandaise est si important qu'un musée lui est consacré depuis 2010 (à ma connaissance le seul au monde de ce genre). Le tout premier enterrement fut celui de Michael Carey, un garçon de 11 ans, le 21 février 1832. Et le premier enterrement d'importance politique fut celui de John Philpot Curran en 1837 : Protestant libéral, il s'était opposé à la fois à l'Union de l'Irlande avec la Grande-Bretagne (qui supprima le Parlement irlandais en l'intégrant au Parlement britannique) et à la révolte républicaine des United Irishmen en 1798, dont il défendit pourtant de nombreux membres lors de leurs procès pour haute trahison. Il avait quitté l'Irlande en 1814 et était mort à Londres en 1817. Vingt ans plus tard, son cercueil fut exhumé et rapatrié à Dublin pour un enterrement en grande pompe à Glasnevin, la première d'une longue série de funérailles, de commémorations, et de rapatriements politiques qui firent de Glasnevin la nécropole nationaliste de l'Irlande. Dix ans plus tard, en 1847, O'Connell lui-même fut rapatrié d'Italie pour être enterré à Glasnevin. En 1861 les Fenians (indépendantistes républicains et révolutionnaires) créèrent le "carré républicain" en rapatriant des États-Unis pour des funérailles en grande pompe la dépouille de Terence Bellew McManus, qui avaient participé à la révolte de 1848. Ils firent de même en 1877 avec les restes de John O'Mahony (fondateur de la Fenian Brotherhood aux États-Unis), en 1891 avec celle du chef de l'Irish Parliamentary Party, Charles Stewart Parnell (qui était mort en Angleterre et avait perdu l'alliance de son parti avec les Libéraux anglais suite au scandale de sa relation extra-conjugale avec Katharine O'Shea), ou en 1915 avec Jeremiah O'Donovan Rossa (Fenian de la première heure exilé aux États-Unis en échange de sa libération). Quelques indépendantistes moins connus furent aussi rapatriés pour un enterrement à Glasnevin, comme par exemple Edward Duffy, mort dans une prison anglaise début 1868, et d'autres qui ne sont pas enterrés là y ont tout de même un monument commémorant leur participation à la lutte pour l'indépendance.


 

Quant à mon intérêt personnel pour Glasnevin, on peut dire que cette tombe y est pour beaucoup. J'ai visité Dublin pour la toute première fois en avril 2010. À l'époque je vivais en Angleterre et j'étais en train d'écrire mon mémoire de Master 2. En M1 j'avais travaillé sur le mouvement nationaliste de la Jeune Irlande et sur leur utilisation du journal hebdomadaire The Nation entre 1842 et 1848 pour diffuser largement le nationalisme culturel qu'ils défendaient. Pour le M2 j'avais déjà commencé à travailler sur les Fenians en analysant leur façon d'utiliser l'héritage culturel de la Jeune Irlande, mais cette fois-ci pas pour défendre le nationalisme culturel en soi, mais comme un outil pour diffuser l'idéal révolutionnaire et républicain. Je savais que plusieurs de ces Fenians étaient enterrés à Glasnevin, donc j'avais décidé de profiter de mon séjour pour m'y balader et essayer d'y repérer des noms familiers.


John Devoy en faisait partie. Né à Kill, dans le comté de Kildare près de Dublin, il fut rapidement impliqué dans l'Irish Republican Brotherhood. Il s'engagea un temps dans la Légion Étrangère française puis revint en tant qu'organisateur local du mouvement républicain dans la ville de Naas (Kildare). Il participa en 1865 à l'évasion de James Stephens, le fondateur du mouvement, puis à la révolte du printemps 1867, suite à laquelle il fut condamné à 15 ans de prison. En 1871, il fut libéré sous condition d'exil et partit finir sa vie aux États-Unis, d’où il poursuivit ses activités indépendantistes en participant à des levées de fonds et en défendant publiquement l'établissement d'une république, jusqu’à sa mort en 1928. Son corps fut rapatrié et l'Irlande, autonome depuis peu (mais pas complètement indépendante), lui offrit des funérailles d'État.


Me voici donc en 2010 devant la tombe, en train de prendre une photo de cette superbe croix sculptée érigée pour honorer un membre éminent du mouvement indépendantiste, quand un type sort de derrière la tombe en me demandant: "Mais tu sais qui c'est lui?" C'est comme ça que j'ai rencontré Patrick. Installé pas loin du cimetière, passionné par son histoire comme par celle du nationalisme en général et de la Jeune Irlande en particulier, il trouvait ça étrange de voir une touriste prendre en photo la tombe d'un indépendantiste peu connu en-dehors des frontières du pays (normalement les touristes connaissent O'Connell et Michael Collins, éventuellement Parnell et Éamonn De Valera, et en général ça s’arrête là). On a visité le cimetière ensemble pendant plusieurs heures (j'ai même pris un coup de soleil! à Dublin! en avril!) et on y est retourné.es plusieurs fois depuis. Pat est sans doute le meilleur guide dont on puisse rêver pour explorer Glasnevin!


Parmi les découvertes que j'ai faites ce jour là, il y a le fait que beaucoup de tombes Fenian sont décorées de motifs typiques comme le lévrier irlandais, la tour ronde de monastère, le trèfle, la harpe, le soleil levant... Ici il s'agit de la tombe du poète Fenian John Keegan Casey, je reparlerai de ces motifs plus tard.


J'ai aussi découvert les "empilements de pierres" typiques des tombes de volontaires ayant participé à la fameuse révolte de Pâques 1916:

 

Le souvenir de cette première visite à Glasnevin ne m'a jamais quittée, et il est clair qu'elle a eu une influence sur ma recherche et le choix de mon sujet de thèse. Plus tard, la tombe de Devoy a de nouveau créé l'occasion d'une rencontre, cette fois-ci avec une jeune femme sud-africaine qui avait un lien de parenté avec lui. Glasnevin a encore bien d'autres histoires á raconter, mais ce sera pour une autre fois. En attendant, si l'occasion d'une visite se présente, il n'y a pas d'hésitation a avoir! Et pour en apprendre plus sans se déplacer, il y a toujours les livres de Shane Mac Thomáis ou le somptueux documentaire d'Aoife Kelleher, One Million Dubliners.

 
 
 

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