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Le cimetière de Donaghcomper, Celbridge (Kildare)

  • Photo du rédacteur: Chloé Lacoste
    Chloé Lacoste
  • 6 août 2020
  • 6 min de lecture

Ce jour là, on avait un peu la flemme pour une balade à vélo et on n'était pas trop sur.es que le temps resterait beau. Alors on a décidé de simplement visiter le cimetière le plus proche de chez nous : Donaghcomper, le principal cimetière de Celbridge (oui, il y en a un autre...). Avant cela, on avait visité le cimetière moderne de Confey, à Leixlip (la ville d’à coté), du coup je m'attendais un peu à revoir le même genre de chose à Celbridge, sans grande nouveauté. Et bien je me trompais entièrement! Il semble que chaque cimetière irlandais ait décidément son identité propre, et celui de Donaghcomper est tellement fascinant qu'il est probable que j'y revienne dans des articles à venir, pour en explorer certains éléments plus en détails. À Donaghcomper, on trouve réunis au même endroit le vieux cimetière, un grand cimetière moderne, et une partie que je qualifierais même de "post-moderne" (je vais m'expliquer, bien entendu). Toute une richesse de vieilles pierres, de traditions qui perdurent et de résistance discrète à de nouvelles règles standardisées qui pourrait résumer l'Irlande de façon plus générale. De la croix celtique aux arbres à fées en passant par les immanquables tombes d'enfants et le maintien de la communauté et de l'humour par-delà la mort, tellement de choses qu'il est impossible de tout détailler en une seule fois, ceci n'est donc qu'une rapide présentation.


Puisqu'il s'agit à l'origine d'un cimetière ancien, je vais logiquement commencer par un peu d'histoire. D’après le panneau de présentation à l'entrée, le nom du cimetière vient des mots irlandais Domhnach (église) et cumar (confluence), on pourrait donc le traduire par "l'église où les rivières se rejoignent". L'entrée principale indique d'ailleurs "Donaghcumper" avec un U, ce qui est plus proche de la version en irlandais (mais je l'ai vu écrit avec un O partout ailleurs). C'est non-seulement le nom de l'église et du cimetière, mais aussi de toute une partie du territoire de Celbridge, et du manoir des propriétaires historiques.

Contrairement à beaucoup de cimetières anciens où l'église est facilement accessible, à Donaghcomper elle est si vieille qu'on l'a jugée dangereuse et que des barrières empêchent de s'en approcher. Elle daterait de la mi-XIIeme siècle, avec des ajouts datant du XIVeme, se qui se voit notamment à la forme des fenêtres. Elle aurait donc été construite avant l'établissement du monastère de St Wolstan (en 1202), dont elle dépendait. Le monastère fut supprimé par la réforme du roi Henri VIII en 1536, et l'église devint protestante. Cette image résume bien le danger de son état, quoiqu'elle ait de beaux restes pour un bâtiment si ancien.

 

Le vieux cimetière lui-même a toutes les caractéristiques qu'on pourrait en attendre, avec ses vielles pierres éparpillées, ses grands arbres (dont beaucoup sont des ifs) et bien entendu l'inévitable croix "celtique". Celle-ci est originale comparée à la majorité des versions modernes de ces croix typiques du début du christianisme en Irlande. Les hautes croix médiévales qu'on associe si aisément au pays sont le fruit d'une lente évolution de représentations sur des stèles jusqu’à devenir des croix autonomes et entièrement sculptées, d’abord de motifs abstraits (la représentation humaine était alors très rare en Irlande, et extrêmement stylisée), puis de scènes tirées de la Bible. Elles se raréfièrent par la suite, puis devinrent l’élément typique des cimetières irlandais que nous connaissons aujourd’hui à la faveur de la Renaissance Celtique de la fin du XIXeme. Mais cette Renaissance se concentrait tout particulièrement sur la promotion d'une culture irlandaise autochtone, notamment ses caractéristiques "païennes". Les reproductions modernes de grandes croix ont donc tendance à s'inspirer plutôt de l'étape intermédiaire des modèles médiévaux : les croix sculptées d'ornements abstraits, inspirés des motifs celtisants à la symbolique si flexible. Et pourtant celle-ci, quoique nettement moderne et post-Renaissance, semble être davantage inspirée des croix médiévales les plus récentes, illustrées de scènes religieuses. Elle occupe le centre d'un carré appartenant à la famille Kirkpatrick, dont quatre générations occupèrent Donaghcomper House, entre le début du XIXeme et la mort de Sir Ivone Kirkpatrick en 1954. Leurs pierres tombales paraissent bien humbles à côté :

 

Sur l'image du carré Kirkpatrick juste au-dessus, on voit bien l’arrière-plan si typique d'un cimetière ancien, mais aussi le mur qui semble affirmer un nette séparation avec le cimetière moderne. Mais ce serait faire erreur que d'en déduire une distinction parfaite entre les deux. Un des éléments les plus frappants dans les cimetières irlandais, c'est justement la continuité qui s’opère entre deux espaces (ou plus) a priori si différents. En France, une telle continuité est quasi-inexistante au-delà du XIXeme siècle. Quand les grands cimetières péri-urbains comme le célèbre Père Lachaise ont été construits, la majorité des cimetières pré-existants ont simplement été détruits. À Paris, l'ancien cimetière des Innocents (aux Halles) fut intégralement rasé et les restes humains qui s'y trouvaient font désormais la joie morbide des visiteurs des catacombes. Dans les petits villages de campagne, le cimetière est généralement toujours à proximité de l'église. Parfois celles-ci sont très anciennes, et pourtant on n'y trouve pas de si vieilles tombes. Mes visites en Irlande me donnent envie d'en découvrir davantage sur ce qui est arrivé aux anciens cimetières en France, mais je crains qu'on n'ait simplement dégagé pas mal de corps pour faire de la place aux suivants. En Irlande, on a plutôt pris l'habitude d'agrandir pour faire cohabiter des pierres sans âge et sans noms avec les cimetières modernes. À Donaghcomper, cette continuité est soulignée par la présence de deux pierres relativement récentes qui commémorent tou.tes les anonymes enterré.es là, une façon d'inclure dans la communauté les mort.es dont les familles n'a pas pu se payer une pierre tombale, ou n'a pas pu l'entretenir après avoir émigré.

(la troisième image de cette galerie ne commémore pas les anonymes, elle était simplement sur une tombe située derrière la première pierre et cette crucifixion ultra stylisée me rappelait le type de représentations humaines pré-chrétiennes, donc aussi une forme de continuité)


D'ailleurs, quand on est dans cette partie du cimetière, il suffit en fait de se retourner pour se retrouver dans la section plus récente, avec ses alignements de tombes à contours, et parfois du granit poli. Ici, la tombe d'un soldat opposé au Traité lors de la guerre civile, et mort en janvier 1923. Elle n'est qu'a quelques mètres du cimetière ancien et il n'y a pas de séparation claire entre les deux (on aperçoit la croix des Kirkpatrick dans le coin à gauche). La pierre tombale d'Anthony O'Reilly a été érigée en 1938 par la National Graves Association et ressemble beaucoup aux tombes des rebelles de 1916 dont j'avais parlé à propos de Glasnevin. On le remarque à peine, mais juste au-dessus du texte sont gravé les deux F du parti Fianna Fáil à l'intérieur d'un soleil (le parti issu des combattant.es anti-Traité). La phrase en irlandais se traduit littéralement par "que Dieu fasse preuve de miséricorde pour son âme".

 

Les pierres tombales de la partie moderne sont majoritairement de simples stèles. Mais cette sobriété n’empêche pas une dose certaine d'originalité et de personnalisation des tombes, par

exemple avec des drapeaux d'équipes sportives, ici le club de football gaélique de Dublin (le plus fréquent par ici). Dans ce cas-ci, le drapeau était simplement planté dans le sol devant la tombe, mais les coins des contours de tombes sont aussi souvent personnalisés par des gravures faisant référence aux activités ou passions de la personne. Il y en a tellement dans ce cimetière que j'en ferai probablement un article à part, mais quelques exemples tout de même:

Équipes sportives, métiers, passe-temps (peinture, musique, équitation, golf, football, et même boisson...), origines géographiques, convictions religieuses... il semble que toute caractéristique individuelle puisse être intégrée à la tombe, parfois avec beaucoup d'humour. Une manière de maintenir le lien communautaire qui unit les monde des mort.es à celui des vivant.es.

J'ai mentionné une section "post-moderne", la voici, tout au fond, le "cimetière pelouse". Je n'en avais jamais vu de pareil et ses règles très strictes uniformisent complètement la vision d'ensemble et paraissent aller à l'encontre de l'idée même du cimetière irlandais (taille de pierre tombale limitée, interdiction d'ajouter contours et structures ou de planter des fleurs, aucun arbre...). On se croirait dans un golf si ce n'était pas si plat, et cette organisation donne un air sévère et bien peu personnalisable à la parcelle. Mais c'est sans compter les fameuse gravures qui au lieu de se cantonner aux coins des contours peuvent ici s’étaler sur toute la longueur de la tombe (ici visiblement un supporter de Dublin bricoleur) :

 

Pour finir en revenant à la continuité qui caractérise les cimetières irlandais, elle est aussi visible au travers de coutumes anciennes, qui datent parfois d'avant l'époque chrétienne, dans l'affirmation du lien à la nature et du cycle de la vie. Une de ces traditions, commune à de nombreux pays (mais l'Irlande est le seul pays d'Europe occidentale où elle demeure aussi ancrée), consiste à suspendre des rubans ou petits objets à un arbre, dans l'espoir d'une protection magique ou pour exaucer un vœu. Certains de ces arbres sont appelé "arbres à fées" et sont clairement reliés à des croyances pré-chrétienne ; d'autres sont à proximité de puits sacrés et font ainsi le lien entre les deux ; et cette continuité se poursuit dans certains cimetières, comme à Donaghcomper avec la suspension de morceaux d'écorce, d'une cage à oiseau, d'une bougie, ou encore de clochettes. Sur un des arbres, on a même fixé de petites portes pour mener vers le monde des fées (ou le maintenir fermé? les fées à l'Irlandaise ne sont pas toujours des créatures sympathiques...).


 

Et pour conclure en beauté sur le cycle de la vie, merci de prendre note, voilà un modèle pour ma future tombe (le choix du chèvrefeuille est parfait!) :


 
 
 

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