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Le "carré McManus", à Glasnevin (Dublin)

  • Photo du rédacteur: Chloé Lacoste
    Chloé Lacoste
  • 10 sept. 2020
  • 4 min de lecture

À l'approche de la rentrée, je ne suis plus certaine de pouvoir tenir le rythme de publication de l'été, entre la thèse qui continue et les cours à plein temps qui vont recommencer. Alors j'ai décidé d'écrire des textes plus courts, et qu'un sur deux serait dédié à un cimetière et/ou une tombe en lien avec ma recherche. C'est plus facile pour moi, car ce sont des sujets que je maîtrise déjà. Et pour débuter sur cette thématique, j'ai choisi la tombe de Terrence Bellew McManus, au cimetière de Glasnevin. C'est un lieu de la plus haute importance pour moi, car c'est le tout premier enterrement "Fenian" dont j'aie entendu parler, à l'époque de mon Master 2 sur les usages politiques du nationalisme culturel par les indépendantistes. Et c'est en m'intéressant à cet événement haut en couleur que j'ai fini par faire une thèse sur les funérailles républicaines tout au long du XIXeme siècle. L'enterrement de McManus à Dublin fut un événement historique et politique fondateur ; le premier d'une longue série, et un point de référence pour tous les événements du même genre jusqu'aux premières décennies du XXeme siècle. Enfin, ce fut un véritable coup politique de la part d'une petite organisation clandestine qui parvint ainsi à revendiquer l'héritage du mouvement Jeune Irlande (qui avait popularisé le nationalisme culturel) et de la révolte de 1848. Le succès symbolique de cette appropriation fut tel qu'aujourd'hui certain.es historien.nes parlent de "McManus, le Fenian " (j'ai vu passer ça au moins deux fois dans des ouvrages publiés), alors qu'il ne l'a jamais été.


Mais alors qui était-il, et comment a-t-il fini par être associé aux républicain.es? Né en 1810, il a grandi dans le comté de Monaghan, où il est devenu proche de Charles Gavan Duffy (co-fondateur dans les années 1840 du journal The Nation puis du mouvement Jeune Irlande). Il s'installa à Dublin en 1836, puis en Angleterre au début des années 1840. Il y fut actif dans divers clubs de soutien à l'abrogation de l'Acte d'Union (qui rattachait administrativement l'Irlande au Royaume-Uni, elle n'avait donc plus de parlement autonome). Le leader du mouvement autonomiste était Daniel O'Connell, et en 1845-46 des tensions émergèrent entre lui et le mouvement Jeune Irlande, qui se distingua en soutenant une réforme pour une éducation non-confessionnelle (plutôt que spécifiquement catholique) et en refusant toute condamnation de principe du recours à l'action violente. Dans ces disputes, McManus apporta son soutien à Jeune Irlande. En 1848, poussés à bout par la catastrophe de la Famine et inspirés par la révolution républicaine en France, une partie des Jeunes Irlandais organisèrent une révolte, pour laquelle McManus rentra en Irlande. Comme tous les autres chefs, il fut condamné à mort et sa peine fut commuée en exil à perpétuité sur l’île de Van Diemen's Land (la Tasmanie aujourd'hui). Il s'en échappa en 1851 et termina sa vie à San Francisco, où il mourut en janvier 1861, sans jamais y avoir été impliqué dans les groupes nationalistes.


Et pourtant, sa mort fut l'occasion de s'affirmer pour le mouvement transnational des Fenians. McManus avait été enterré une première fois en janvier 1861, suite à quoi un appel aux dons fut lancé pour ériger un monument sur sa tombe. Ce sont les Fenians basés aux États-Unis qui saisirent l'occasion de plutôt allouer ces dons à une exhumation et à l'organisation de funérailles nationales en Irlande. Le corps finit par être exhumé en août 1861, transporté par bateau de San Francisco à New-York (en passant par le Panama) puis de là à Queenstown (Cobh, désormais).

Une procession fut organisée à Cork, puis le cercueil fut transporté en train jusqu’à Dublin, où il fut exposé une semaine au Mechanics' Institute (qui deviendrait plus tard le célèbre Abbey Theatre, où furent jouées les pièces de la Renaissance Celtique). La procession finale vers le cimetière de Glasnevin rassembla jusqu’à 200 000 personnes selon certaines estimations (ce qui équivaudrait à un quart de la population du Comté de Dublin à l'époque, *hum*). Peu importe le nombre précis, toutes les sources s'accordent à reconnaître l'événement comme un succès populaire et la procession mit cinq heures à atteindre le cimetière, en faisant un sacré détour (voir carte).




Ouf, j'en ai fini avec les longs textes, voici maintenant des photos de la tombe!

Le monument ne fut pas érigé au XIXeme siècle par les Fenians, mais par la National Graves Association en 1933, après l'autonomie du pays, et bien après la mort de McManus. La femme représentée au sommet est une allégorie de l'Irlande (le mot Erin est gravé sur sa ceinture, il signifie Irlande en gaélique irlandais). Quant aux deux enfants, il sont le peuple irlandais qui se bat pour sa liberté (l'enfant de gauche porte une épée et un bouclier, l'enfant de droite est accompagné.e d'un lévrier irlandais, symbole des Fenians). À droite de l'image, on aperçoit un autre tombeau Fenian : celui du poète John Keegan Casey, reconnaissable au monastère et à la tour ronde en ruine sculptés sur le côté.


Mais surtout, le "carré McManus" est beaucoup plus large que toutes les tombes qui l'entourent, et au pied du monument on peut observer un autre nom : celui de John O'Mahony. C'est que McManus n'est pas seul dans cette tombe, ce qui vaut d'ailleurs au lieu d’être également appelé "carré républicain" ou "carré Fenian". Je l'ai mentionné, les funérailles de McManus furent les premières d'une longue série au travers de laquelle les républicains cherchaient à établir la continuité de leur lutte tout au long de l'histoire irlandaise. Il est d'ailleurs intéressant de noter que rien sur le monument n'indique que McManus fut lui-même républicain. Il est simplement présenté comme Jeune Irlandais. C'est la présence de John O'Mahony (mort en 1877 à New-York, il a lui aussi eu droit à des funérailles transatlantiques) qui fait le lien entre la génération des révoltés de 1848 et celle des républicains Fenians, tous les autres occupants de cette tombe ayant activement participé à l'Irish Republican Brotherhood. Charles McCarthy mourut en 1878, quelque jour après être sorti de prison, tandis que Patrick Nally décéda en 1891 quelques jours avant la date prévue pour sa sortie. Daniel Reddin et James Stritch avaient tous les deux participé à l'attaque d'un fourgon de police à Manchester pour libérer des dirigeants républicains en septembre 1867, et furent emprisonnés pour cette action. Plus tard, Stritch devait faire partie du commité organisateur des funérailles de Jeremiah O'Donovan Rossa en 1915 (encore un événement transatlantique), puis il participa à la révolte de Pâques 1916. Il vécu jusqu'en 1933, date après laquelle la tombe fut finalement scellée et le monument érigé.


 
 
 

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