L'église anglicane de Rathmore et son cimetière, dans le Comté de Kildare
- Chloé Lacoste
- 17 sept. 2020
- 4 min de lecture
Le jour de notre visite de la superbe église romane de Kilteel (voir post du 2 septembre), nous avons pris un petit détour pour passer par Rathmore et visiter le cimetière anglican à l'entrée du village. Ce petit écrin est bien plus facile d’accès que celui de Kilteel, mais tout de même isolé, et placé lui aussi sous haute surveillance animale, quoique d'un genre différent.

Les personnes un tout petit informées et qui lisent le blog régulièrement doivent commencer à se dire que tout de même on parle souvent de cimetières anglicans pour ce pays censé être si largement catholique. Alors, voilà, pour faire très vite: à partir du Veme siècle, l'Irlande devient peu à peu chrétienne. Sa conversion se fait largement grâce à l'adaptation de l'Église à la culture locale, d’où les célèbres motifs "celtiques" parvenus jusqu’à nous, et le système monastique si particulier qui a d'ailleurs créé des tensions avec le pouvoir de Rome à l'époque (en Irlande, ce sont les Abbés qui ont la primauté sur les Évêques, et ça plaît pas trop). Zappons plusieurs siècles d'histoire en oubliant les invasions Vikings du Xeme et l'arrivée des Anglo-Normands au XIIIeme pour en venir directement à Henri VIII, le fameux roi aux six femmes dont deux divorcées et deux décapitées. Obsédé par son besoin d'avoir un héritier mâle pour asseoir la légitimité de sa dynastie (établie par son père, je te laisse faire tes recherches sur la guerre des deux roses...), il décide de quitter l'Église catholique pour pouvoir divorcer de sa première femme, qui ne lui a donné qu'une fille, cumule les fausses couches, et commence à se faire vieille pour avoir d'autres enfants.
Et c'est ainsi que naît l'Anglicanisme, qui s'appelle comme ça parce que son chef n'est plus le Pape mais le monarque d'Angleterre. Et en 1536 il décide de faire supprimer tous les monastères du pays et de récupérer leurs possessions (belles étoffes, calices en métaux précieux, toussa toussa). Même si entre-temps l'Église d'Irlande a finit par se soumettre à Rome, elle a gardé un fonctionnement très monastique et du coup ça ne passe pas très bien. Et puis la distance avec le trône est telle que la population se convertit nettement moins, y compris parmi les nobles anglo-normands. C'est pour cela que par la suite Élisabeth I (fille d'Henri VIII) puis Jacques I (neveu d'Élisabeth) vont entamer une politique de "plantation" (chasser les Lords catholiques et en envoyer des protestants et loyaux à la place), puis petit à petit les Penal Laws vont être mises en place. Elles interdisent un certain nombre de choses aux catholiques, et suppriment notamment leurs lieux de cultes, qui deviennent anglicans. Et voila comment on se retrouve avec tout un tas d'églises et de cimetières anglicans dans un pays pourtant si largement catholique. Dans les zones rurales, des petits cimetières catholiques isolés et sans église existent (c'est les cas de Potmore à Ballinderry, un de mes tous premiers posts), et dans les villes et villages des églises et cimetières catholiques sont réapparus à partir du XIXeme siècle. Mais la vieille église et le vieux cimetière demeurent le plus souvent affiliés à l'Église anglicane, même si les corps qui s'y trouvent sont majoritairement ceux de catholiques.
Mais revenons en à Rathmore. En entrant dans le cimetière, on a d'abord une impression que

tout est bien à sa place, avec sur la droite des rangées toutes droites de tombes très similaires. Mais à gauche de l'entrée les tombes sont de types beaucoup plus variés et leur organisation saute moins aux yeux (promis, ceci n'est pas une métaphore politique, il fait vraiment cet effet là ce cimetière). Et plus on avance vers l'église plus l'herbe est haute, jusqu’à nous arriver

aux genoux (la preuve à gauche pour les sceptiques). Dans l'ensemble, c'est une fois de plus l'impression du cimetière typiquement irlandais qui domine, avec la végétation qui grimpe sur une partie des tombes tandis que d'autres sont englouties par les herbes hautes. Mais c'est aussi un peu triste parfois, surtout au Sud de l'église, où branches et ronces coupées semblent avoir été délibérément entreposées. C'est d'autant plus surprenant que l'église est clairement toujours en usage.
De nombreuses tombes sont malgré tout bien visible, et parmi elle trois ont attiré mon attention. La première suit le modèle typique des tombes de l'armée britannique, en l'occurrence celle du soldat T. Burns du Royal Army Service Corps, mort le 12 avril 1918. J'ai cessé de compter le nombre de tombes de soldats de la Première guerre Mondiale, mais il est certain qu'elles sont beaucoup plus fréquentes que ce à quoi je me serais attendu, il y en a dans presque chaque cimetière que je visite. La deuxième image est une crucifixion sur une tombe datant du XVIIIeme ou du XIXeme siècle (je n'ai pas réussi à déchiffrer la date exacte). Je la trouve particulièrement intéressante car le corps semble assez réaliste dans l'ensemble (que ce soit en termes de proportions ou de détails) mais le haut du torse, les bras et le visage sont très stylisés et ne semblent absolument pas chercher à imiter le réel. La différence est telle que je me demande si deux sculpteurs différents ont pu y participer, ce qui serait assez exceptionnel. La dernière image est à mon avis la tombe la plus originale de Rathmore. Si le pilier gris semble bien sobre
vu de loin, il est en fait orné d'un long chapelet, fait avec DES BILLES incrustées. J'ai d'abord pensé que c'était sans doute la tombe d'un religieux, mais rien ne semble en fait l'indiquer. Je trouve génial ce mélange entre le symbole sérieux du chapelet et sa représentation avec les objets enfantins que sont les billes. La croix du chapelet est aussi très "celtique" en ce que des billes de couleurs différentes sont utilisées pour symboliser les quatre points cardinaux, et le corps du Christ au centre.
À l'entrée du village de Rathmore, ce charmant petit cimetière anglican vaut bien le détour et cache encore certainement de nombreux trésors dans les herbes hautes.

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