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Le cimetière moderne de Confey à Leixlip (comté de Kildare)

  • Photo du rédacteur: Chloé Lacoste
    Chloé Lacoste
  • 9 juil. 2020
  • 5 min de lecture

Un jour, en pleine préparation d'un aller-retour à Dublin via le Royal Canal, je me suis subitement aperçue en regardant la carte qu'il existait un cimetière appelé Confey tout près dudit canal. Bien entendu, il a fallu qu'on y fasse étape sur la route du retour. Nous voici donc à Confey pour la première fois (oui, il y aura un deuxième épisode, bientôt, mais commence par lire le premier). À première vue, c'est un cimetière qui ressemble beaucoup à ceux qu'on peut voir en France : des rangées de tombes bien droites et organisées et des pierres tombales le plus souvent en granit poli (du faux marbre en gros). Mais c'est l'Irlande, donc il reste quand même quelques croix celtiques, et pas mal d'arbres (mais moins que dans un vieux cimetière quand même).

Très sincèrement, je ne comprends pas d’où vient cet amour pour le granit poli. Ça donne des tombes très uniformes, et malheureusement souvent moches. Mais la balade dans un cimetière irlandais reste souvent plus agréable que dans beaucoup de cimetières français pour deux raisons : 1- les croix celtiques et les occasionnelles pierres non polies apportent un peu plus de diversité; 2- il y a ce format de tombe "ouverte", c'est-à-dire avec juste un contour de pierre, mais pas de couverture. L'habitude française de couvrir entièrement les caveaux limite les possibilités d'appropriation de la tombe par la famille, je trouve. Ado, j'étais tellement agacée par cette uniformité que j'ai envisagé un temps de devenir designeuse de tombes : il fallait que quelqu'un fasse quelque chose! Mais j'ai fini par laisser tomber parce que je ne dessinais pas suffisamment bien, et puis il m'a semblé que poursuivre mes études et devenir chercheuse était plus raisonnable (l'ironie du XXIeme siècle...).

 

Je disais donc que ce qui m'intéresse tant dans les cimetières irlandais modernes c'est cette possibilité de s'approprier les tombes, et c'est quelque chose que les irlandais savent particulièrement bien faire. Dans mon tout premier post, j'avais fait allusion à la culture matérielle de la mort qui est très présente ici. Elle peut s'exprimer aussi bien avec tristesse qu'humour, ou simplement par des références à la vie quotidienne comme le métier ou les loisirs du défunt. Il y a un peu de tout ça à Confey. Un des éléments caractéristiques de cette culture matérielle, c'est l'importance des "tombes à bancs": la tombe est généralement rectangulaire, avec au sommet la pierre tombale qui porte le nom des personnes enterrées là, et à son pied un banc qui semble inviter les passants à s'asseoir pour une petite conversation. C'est une manière de matérialiser et en quelques sortes de maintenir la relation entre les mort.es et celleux qui restent. À Confey, j'ai été intéressée par deux bancs en particulier.


Paradoxalement, ce premier banc est tourné vers les passants plutôt que vers la tombe, et il n'est clairement pas prévu qu'on puisse s'y asseoir. D’après sa pierre tombale, le défunt enterré ici était un mari, père et grand-père, et c'est en tant que tel que son souvenir est entretenu. Étant donné qu'il est mort à 54 ans, ses petits-enfants ne peuvent guère avoir été plus agé.es que les deux enfants sur le banc. J'en déduis donc que ce banc est une manière d'entretenir cette relation grand-père/petits-enfants. Le choix original de le tourner vers l'extérieur permet d'éviter que cette relation ne devienne exclusive en maintenant ouverte la possibilité pour d'autres d'y participer. Par ailleurs, cette tombe est assez représentative de la fameuse matérialité de la relation aux mort.es, avec des objets du quotidien comme le chien ou le nain de jardin qui sont de simples décorations, pas spécifiquement associées à l'idée de la mort. Dernière chose, sans lien direct mais visible sur la photo: les deux tombes juste derrière celle-ci (surtout celle de gauche) montrent un des aspects que je préfère dans l'appropriation dont je parlais plus tôt: la possibilité de planter des fleurs directement sur la tombe. C'est à la fois beaucoup plus joli que nos grosses pierres à la française, et un symbole beaucoup moins austère, plus évocateur du rôle cyclique et naturel de la mort que de la séparation froide et solennelle qu'exprime la pierre polie.


La seconde tombe à banc est encore plus surprenante que la première, même pour les Irlandais.es. Deux fois plus large que la normale, elle est composée d'une moitié "classique" et d'une deuxième moitié couverte sur laquelle est posé le banc. Au passage, il est nettement plus grand et fait plus "vrai" que les autres. Habituellement, ces bancs semblent certes inviter les passant.es à s'asseoir pour une petite discussion, mais ils sont tout de même très bas et n'ont pas vraiment l'air confortables (des photos sont à venir dans de futurs posts). Celui-ci donne envie de s'y asseoir pour de vrai, et il est probable que l'épouse et les deux enfants du monsieur enterré là (leur photo est incrustée dans le dossier du banc) s'y assoient régulièrement pour une petite réunion de famille .


 



Cette expression matérielle est si présente dans les cimetières irlandais qu'elle finit par donner l'impression qu'on ne cherche pas simplement à commémorer les défunt.es, mais à raviver des caractéristiques individuelles et/ou la relation qui les connectait aux personnes restées en vie. Et je l'ai dit, ce rappel peut se faire avec humour, comme ici avec cette pinte de Guinness placée juste devant la pierre tombale. Ce type d'objet décoratif entretient un lien tellement puissant avec l'identité de la personne décédée et ce qu'elle aimait de son vivant, qu'on pourrait presque parler d'une offrande lui permettant de continuer à en profiter par-delà la mort.





Parmi ces offrandes, les plus touchantes sont sans doute celles qui accompagnent les tombes d'enfants. Elles sont particulièrement remarquables en Irlande, et je n'arrive pas à savoir avec certitude si c'est parce qu'elles sont plus nombreuses ou simplement plus décorées (peut-être un peu des deux, j'en reparlerai dans un autre post). Ici, on reconnait presque instantanément une tombe d'enfant, parce qu'elles sont de loin les plus décorées, et aussi parce qu'on y trouve des types de décorations bien particuliers - le plus souvent des anges (qui représentent l'innocence et la pureté), des animaux, et des jouets.

Il y a donc à Confey ce summum de la tombe d'enfant irlandaise. Le petit garçon enterré ici est mort à l'âge de 3 ans, et l'accumulation des "offrandes" fait presque déborder sa sépulture. Le petit putto en bas rappelle l'innocence de l'enfance; c'est aussi le seul objet qui établi clairement une référence à la mort. Le reste, ce sont principalement des animaux de toutes sortes (une chouette, des pingouins mignons, des hérissons, des chiens, une biche, un canard, un chat, un ours polaire, une vache, un mouton, des coccinelles, et même un suricate debout à gauche de la pierre tombale). Il y a aussi beaucoup de jouets, et une étrange pierre avec des dents (peut-être une référence à un dessin animé que je ne connais pas?). Vu les jouets choisis, il semble que ce petit garçon ait eu une passion toute particulière pour les trains (il y a même une locomotive sculptée qui "fait le tour" de la tombe).


 

Cette première visite à Confey fut aussi la première dans un cimetière irlandais (presque) complètement moderne. Un mélange pour moi de découverte de pratiques mémorielles différentes et de confirmation d'une tendance majeure déjà présente dans les cimetières du XIXeme siècle et de bien avant : l'importance de l'expression communautaire et de la relation aux défunt.es, qui se traduisent ici par le maintien d'une connexion matérielle entre les mort.es et les vivant.es.


Au milieu de toute cette modernité, un monument m'a semblé quelque peu incongru:

Cachée dans un recoin du cimetière, sur le point d’être doucement engloutie par les plantes qui l'entourent, cette pierre tombale date du début du XXeme siècle et semble tout droit sortie de la Renaissance Celtique, avec sont trèfle qui grimpe sur le pilier, le sacré cœur au centre, et les reliefs de motifs celtisants. Au moment d’où j'ai pris cette photo, j'étais loin d'imaginer que cette végétation qui envahit lentement la tombe la rattache aussi directement au premier cimetière de Confey, médiéval (au moins). Mais ça, c'est pour une prochaine fois...



 
 
 

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